L'inaction est-elle une décision ? Réflexions sur la responsabilité collective en organisation

L’inaction est-elle une décision ?

Dans nos organisations contemporaines, nous observons un phénomène fascinant : des situations dysfonctionnelles qui perdurent alors que chacun en perçoit les enjeux. Comment comprendre cette persistance de l'inaction collective ? À quel moment cette inaction cesse-t-elle d'être une simple passivité pour devenir un choix organisationnel ?

Le basculement philosophique

Jean-Paul Sartre l'affirmait : "ne pas choisir, c'est encore choisir". Cette maxime trouve une résonance particulière dans nos systèmes organisationnels. L'inaction devient décision collective au moment précis où se conjuguent trois éléments :

  • La conscience partagée des enjeux : Quand l'organisation comprend collectivement qu'une situation nécessite une intervention
  • La capacité d'action distribuée: Quand existent les moyens techniques, humains ou organisationnels d'agir
  • La non-délibération systémique : Quand le système choisit implicitement de ne pas traiter le problème identifié

Les mécanismes systémiques de l'inaction

Max Weber distinguait l'éthique de conviction de l'éthique de responsabilité. Nos organisations modernes génèrent des mécanismes subtils qui favorisent l'inaction collective :

La fragmentation des responsabilités

Les structures complexes créent des zones grises où personne ne se sent pleinement responsable. Chaque acteur peut légitimement penser que l'action relève d'un autre service, d'un autre niveau, d'une autre expertise.

L'euphémisme organisationnel

Le langage institutionnel transforme les problèmes en "optimisations", les dysfonctionnements en "axes d'amélioration", créant une distance cognitive qui facilite l'inaction.

Le conformisme systémique

Solomon Asch a démontré la puissance du conformisme social. Dans l'organisation, cette pression se traduit par une tendance collective à maintenir l'équilibre apparent plutôt qu'à remettre en question les fonctionnements établis.

La dilution de la responsabilité collective

On attribue parfois à Edmund Burke la phrase "pour que le mal triomphe, il suffit que les hommes de bien ne fassent rien". Cette phrase illustre comment nos systèmes organisationnels peuvent, paradoxalement, déresponsabiliser chaque acteur individuel :

  • L'effet spectateur organisationnel : Plus l'organisation est grande, plus chacun suppose que d'autres agiront
  • La rationalisation distribuée : Chaque niveau justifie son inaction par l'inaction des autres niveaux
  • La culture du consensus implicite : L'absence d'action devient progressivement la norme acceptée

Les conséquences systémiques de l'inaction-décision

Lorsque l'inaction devient le choix par défaut d'une organisation, elle génère :

  • La normalisation des dysfonctionnements : Ce qui était exceptionnel devient routine
  • L'érosion de la capacité d'action collective : L'habitude de l'inaction affaiblit les réflexes d'intervention
  • La perte de sens organisationnel : L'écart entre valeurs affichées et pratiques effectives

Vers une conscience systémique de l'action

Hans Jonas, dans "Le Principe Responsabilité", nous invite à penser les conséquences à long terme de nos choix collectifs. Pour nos organisations, cela implique :

  • Reconnaître que l'inaction est un choix avec des conséquences mesurables
  • Identifier les mécanismes structurels qui favorisent l'inaction collective
  • Développer une culture de la responsabilité partagée où chaque acteur comprend son rôle dans l'action collective

L'excellence organisationnelle ne se mesure pas seulement aux actions menées, mais aussi à la capacité collective de reconnaître quand l'inaction devient, elle-même, un choix systémique.